Intégrer sans discrimination ni privilège

Cet article est la Chronique 31 publiée en mai 2010 par le comité école et société de la FNEEQ.

Un changement survenu en 2008, dans l’interprétation de la Charte québécoise des droits et libertés, a conduit à une augmentation très sensible du nombre d’élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA) dans le réseau scolaire québécois. Déjà toute une problématique au niveau secondaire, l’intégration pose aussi au collégial de sérieuses questions.

Au début de la session, plusieurs enseignantes et enseignants des cégeps accueillent dorénavant dans leur classe, un ou des EHDAA. Pour chacun de ces élèves, on demande au professeur de faire preuve d’ouverture face à des mesures de « différenciation pédagogique », notamment en ce qui concerne les situations d’évaluation. Pour plusieurs, cette situation provoque un malaise, sinon un certain désarroi, d’autant plus que le nombre d’élèves diagnostiqués augmente constamment.

L’intégration des EHDAA dans les classes régulières du primaire et du secondaire a provoqué plusieurs problèmes majeurs dans le fonctionnement des classes. Il y a quelques semaines, la ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport a dû admettre que le processus d’intégration des EHDAA dans les classes régulières devait être revu.

La question est complexe, mais nous pensons qu’il peut être utile de faire un bref état de la question et de présenter ce qui nous apparaît être les principaux enjeux auxquels sont confrontés les enseignants.

QUESTIONS ET ENJEUX

D’entrée de jeu, il est clair que nous adhérons aux principes qui sous-tendent toutes ces actions, qui visent une meilleure intégration physique, sociale et pédagogique de ces jeunes dans le système scolaire et éventuellement dans la société en général. Les problèmes ne se posent pas au niveau des principes, mais bien au niveau de leur application concrète.

D’abord, qui sont ces élèves handicapés ou ayant des difficultés d’apprentissage ou d’adaptation? Sont-ils nombreux? En 2000, le MELS définissait 2 grandes catégories et 31 sous-catégories d’EHDAA.1 Dans un texte de 2007, le MELS réajuste le tir et n’identifie plus que 12 sous-catégories.2 Dans les « conventions collectives » des enseignants du primaire et du secondaire, on retient trois catégories d’EHDAA : les élèves à risque, les élèves en difficulté d’apprentissage et les élèves présentant des troubles de comportement.

Toutes les études insistent sur la particularité de chacun des cas. Chacun des étudiants suppose un plan d’intervention et un encadrement personnalisés. Plusieurs s’intègrent facilement, alors que pour d’autres, les mesures ne seront jamais suffisantes.

QUI DIAGNOSTIQUE QUOI?

La question du diagnostic est évidemment fondamentale. Qui est en mesure de diagnostiquer ces différents problèmes? Selon le MELS, on parle le plus souvent d’une équipe multidisciplinaire de professionnels qui peut ou doit inclure une douzaine de spécialisations différentes. Retrouve-t-on tous ces spécialistes dans votre collège? La majorité des collèges concentrent leurs énergies sur l’identification des étudiants admis – qui ont de graves difficultés langagières – en engageant des orthophonistes ou des orthopédagogues. Les collèges ont dû mettre sur pied des « centres d’aide en français » et des cours de mise à niveau en français écrit. Mais comment distinguer, parmi tous ces élèves, ceux qui ont des difficultés langagières nécessitant un encadrement particulier?

Certains spécialistes questionnent la définition de ce handicap, les méthodes utilisées pour établir le diagnostic et à terme, la compétence de certaines personnes chargées d’identifier et d’encadrer tous ces élèves dyslexiques « émergents ». « On peut s’interroger sur la présence ou non d’élèves dyslexiques au collégial. […] Il y a probablement peu de vrais dyslexiques qui s’inscrivent au cégep. […] Plus vraisemblablement, la majorité des étudiants qui ont des difficultés en lecture et en écriture au cégep ne sont pas de vrais dyslexiques. »3

Les EHDAA peuvent et doivent être diagnostiqués dès les premières années du primaire. Ce n’est évidemment pas le cas actuellement. De plus, le coût de ce diagnostic (qui doit être fait par un professionnel pour être valide) est très élevé et doit, le plus souvent, être assumé par les parents. Comme il a été démontré que les élèves provenant des milieux défavorisés sont plus susceptibles de vivre ces difficultés, cela accentue l’importance et l’urgence de mettre en place un mode de diagnostic sérieux, efficace et accessible pour tous.

Mais par delà les difficultés de diagnostic, l’intégration de ces élèves aux études collégiales soulève bien d’autres questions.

Les cégeps ne recevraient du financement que pour un tiers des étudiants inscrits à ces services. Sachant qu’actuellement moins de 10% des élèves à risque sont suivis, ces données indiquent donc des problèmes sérieux de financement concernant la distribution de services spécialisés pour les étudiants ayant des incapacités. D’autre part, la majeure partie des investissements se font au niveau des ressources spécialisées, donc en dehors de l’enseignement comme tel. Combien d’argent faudrat-il investir dans les différents établissements afin de réunir les conditions d’une intégration réussie? Est-ce que ces investissements ne risquent pas d’accentuer le manque criant d’argent à d’autres niveaux?

Pour l’enseignant, il est primordial que cette intégration se fasse dans le respect du principe de la tâche comparable. Ce principe doit faire en sorte que l’intégration des EHDAA n’ait pas pour effet de rendre la tâche du professeur beaucoup plus lourde que celle de celui qui n’en accueille pas. Comment tenir compte de cette surcharge de travail? Il apparaît très difficile de modifier le calcul de la charge individuelle. Pourrait-on envisager une forme de compensation monétaire forfaitaire? Cette problématique est actuellement suivie de près dans la négociation de la convention collective.

Par ailleurs, quelle est la responsabilité des Collèges vis-à-vis cette nouvelle réalité? Compte tenu de la charte des droits de la personne et des décisions déjà rendues, les Collèges auront beaucoup de difficultés à convaincre la Commission que certains accommodements demandés imposent une contrainte excessive, c’est-à-dire trop onéreuse ou nuisible à l’harmonie, au bon fonctionnement de la classe, aux droits et aux conditions d’apprentissage des autres élèves du groupe. Les professeurs devront-ils travailler à préciser ce qui peut constituer un accommodement déraisonnable dans leur discipline?

Comment, comme professeurs, devons-nous composer avec ces élèves? Le professeur demeure responsable du bon fonctionnement de sa classe. En quoi l’intégration de ces élèves peut-elle modifier les conditions de son enseignement? Comment assumer cette responsabilité avec, dans la classe, des élèves qui ont de sérieux problèmes de comportement?

Notre compétence disciplinaire ne serait plus suffisante? Devrons-nous dorénavant nous perfectionner pour apprendre comment réagir face à tous ces cas particuliers? Les universités offrent déjà des cours en ce sens.

Dans un contexte caractérisé par l’alourdissement de la tâche et le sous-financement chronique du réseau collégial, l’intégration des élèves handicapés ou en difficulté demeure certes un objectif louable, mais les conditions de réalisation de cette intégration doivent être mieux balisées. Les différentes mesures d’intégration au collégial doivent être issues d’une démarche plus rigoureuse et d’une concertation réelle de tous les intervenants, au premier chef des enseignantes et des enseignants, avec comme préoccupation première de meilleures conditions d’apprentissage et de réussite pour toutes les étudiantes et tous les étudiants.


  1. Ministère de l’Éducation du Québec (2000). Élèves handicapés ou élèves en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA) : Définitions.
  2. Ministère de l’Éducation du Québec (2007). L’organisation des services éducatifs aux élèves à risque et aux élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA)
  3. Nicole Van Grunderbeeck (2001) Problèmes de lecture/écriture au collégial et dyslexie; CCDMD