Chronique 36, du comité École et société de la FNEEQ, février 2011
Invité au Conseil fédéral de décembre, Robert Laplante, qui dirige l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC), a livré aux délégués sa vision de la situation économique au Québec. Le contenu de la conférence n’étant pas disponible, nous profitons de cet article de février pour en faire le résumé, quitte à nous éloigner – le temps d’une chronique – de questions directement reliées à l’éducation!
Depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement de Jean Charest n’a pas changé d’un iota son orientation néolibérale. Constatant qu’afficher ouvertement ce qu’il entendait faire pour réduire la taille de l’État et accorder plus de place au privé suscitait de l’opposition, il procède maintenant à la pièce et plus discrètement.
Il applique une stratégie souvent utilisée par les forces néolibérales et les partisans de la réduction du rôle de l’État : noircir les problèmes, discréditer les acquis historiques, multiplier les palmarès qui nous présentent bons derniers. À en croire certains, le Québec serait à la dérive dans une mer de problèmes devenus insolubles, tels la baisse démographique, la pénurie de main-d’œuvre, les déficits structurels et une dette hors de contrôle. On exagère les problèmes et on rétrécit intentionnellement le corridor de solutions qui s’offrent à nous. Cette tactique n’est pas nouvelle : elle a été utilisée dans plusieurs pays dont les États-Unis, la France, la Grèce et l’Angleterre.
Des problèmes insolubles?
On a présenté par exemple le déclin démographique comme une fatalité porteuse de graves problèmes, la population du Québec étant censée décroître de façon marquée à partir de 2030.
Si les projections démographiques nous offrent des informations d’une utilité certaine, elles sont loin de revêtir le caractère inéluctable que certains souhaiteraient. Les récentes interventions de l’État pour stimuler la natalité – droits parentaux, régime québécois d’assurance parentale, infrastructures à la petite enfance — ont si bien fonctionné que les scénarios de l’Institut de la statistique du Québec ont dû être complètement révisés en 2009 : par le biais de nos politiques publiques, le déclin est évitable.
On a également annoncé que le vieillissement de la population allait entraîner une grave pénurie de main-d’œuvre, avec 700 000 emplois non comblés. Pourtant, d’autres pays, la Suède notamment, ont vécu des situations semblables et s’en tirent fort bien. Il faut remettre les choses dans leur contexte. Le vieillissement avec lequel le Québec doit composer n’est pas une situation singulière. Le Québec se situait, en 2006, au 38e rang – très loin derrière le Japon, l’Australie et la France – quant à la proportion de personnes âgées parmi sa population.
Par ailleurs, de nombreux scénarios, y compris ceux d’Emploi-Québec, démontrent que nos politiques relatives au travail – par exemple sur le mentorat, la formation ou le temps partiel – peuvent lever des obstacles et créer des postes qui compenseront pour les sorties du marché du travail. L’augmentation de la proportion de personnes âgées dans une société n’est donc pas nécessairement source de problèmes.
État de crise
Au début de la crise, en pleine campagne électorale, Jean Charest soutenait toujours que l’équilibre budgétaire allait être atteint pour l’année 2008-2009. Peu de temps après sa réélection, non seulement on apprenait que le Québec allait plonger dans des déficits importants en raison de la crise financière mondiale, mais on allait également assister à un important changement de discours, appuyé par quelques rapports rédigés à la demande du ministère des Finances : le Québec vit au-dessus de ses moyens et refile la facture aux prochaines générations. Comment, après avoir maintenu des budgets à peu près équilibrés pendant quatre ans, peut-on prétendre maintenant que les déficits sont devenus structurels ?
S’en est suivi un discours sur la dette qui entretient soigneusement la confusion. En février 2010, le ministère des Finances publiait une analyse qui présentait le Québec comme la 5e nation la plus endettée au monde. Au-delà des manipulations techniques sur les concepts de dette et sur les manières de comptabiliser les immobilisations, tout l’exercice a brouillé le véritable débat sur la pertinence des choix. Les services publics étaient simplement devenus un luxe que nous n’avions plus les moyens de nous payer.
Sous le couvert d’analyses biaisées, les différents comités formés par le gouvernement nous ont ensuite invités à « changer le rapport du contribuable à l’État », ou encore, à nous engager dans une « révolution culturelle ». Sans grandes surprises, les solutions mises de l’avant n’étaient rien d’autre que les vieilles mesures néolibérales dont les limites ont maintes fois été démontrées empiriquement.
Ce fatalisme devant la situation économique et les solutions proposées sont d’autant plus inacceptables que le contexte mondial actuel – qui correspond à un boom économique extraordinaire dans les pays émergents, mais aussi à la perspective d’un choc pétrolier –entraîne une demande importante pour les ressources naturelles ainsi que la recherche d’énergies vertes. Une telle situation devrait avantager le Québec : mais au lieu de miser là-dessus et de tirer le maximum de nos ressources pour tous les Québécois, le gouvernement les vend à bas prix au secteur privé.
Un nouveau paradigme de développement économique pour le Québec
Avec 50 % de son énergie produite qui est d’origine renouvelable, le Québec est la société la plus avancée au monde en cette matière et, grâce aux ressources fabuleuses qu’elle possède, elle est également la mieux placée pour s’affranchir du pétrole. Nous pourrions, avec une politique audacieuse d’indépendance énergétique, non seulement améliorer notre bilan environnemental, mais aussi structurer une nouvelle économie, lever de nouvelles générations d’équipement et relancer les régions en difficulté.
Dans ce contexte, l’électrification du transport collectif pourrait devenir la pierre angulaire de ce développement. Ce serait une formidable occasion d’amorcer une transition vers une économie post pétrolière, tout en développant une expertise de calibre international. Avec la fabrication de trains, de métro et d’autobus, notre industrie du transport est déjà spécialisée dans le transport collectif; en misant sur cette filière, on créerait potentiellement 140 000 emplois.
Robert Laplante, dans sa conférence, a su habilement contredire certaines perceptions véhiculées par la droite dans les grands médias et démontrer que la situation politique du Québec était avantageuse, et pourrait l’être encore plus, si on tirait le plein potentiel de nos ressources. Son exposé, rigoureux et bien appuyé, donne de l’espoir et montre que les mesures d’austérité ne sont certes pas ce qu’il faut pour dynamiser l’économie québécoise.
On peut rejoindre le comité école et société à l’adresse : cesfneeq@csn.qc.ca