Les 24 et 25 octobre derniers, plus de 1 600 infirmières et infirmiers de même que 1 400 étudiants se réunissaient au Palais des congrès de Montréal à l’occasion du congrès annuel de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ). L’événement était précédé par l’AG où 925 délégués provenant de 12 Ordres régionaux de l’OIIQ ont adopté, à la majorité, une proposition de la Table sectorielle nationale des Réseaux universitaires en santé (RUIS). Cette proposition veut que l’OIIQ fasse les représentations requises auprès du gouvernement du Québec afin que le droit de pratique ne s’obtienne qu’à la fin de la formation universitaire (initiale ou DEC-BAC). Il n’y a eu que 925 des 71 399 membres inscrits au tableau de l’OIIQ qui se sont prononcés sur cette proposition ! Qui plus est, le vote sur cette proposition a été pris après seulement 15 minutes de période de questions au cours de laquelle toute tentative d’affirmer que le DEC en soins infirmiers répond au besoin de santé de la population a été rapidement rabroué par la présidente de l’OIIQ. Pas de place à la dissidence. Tout était bien orchestré. Si bien qu’aucune des quatre autres propositions n’a été discutée ni même présentée.
Outre une lettre adressée en juin dernier à Madame Nicole Godin, présidente de l’Association des enseignantes et enseignants en soins infirmiers des collèges du Québec (AEESICQ), expliquant que l’Ordre prévoyait multiplier, dans la prochaine année, « les occasions de réfléchir à la question de la formation des infirmiers et infirmières avec l’ensemble des partenaires », jamais l’Ordre n’a cru bon inviter les enseignants du collégial à explorer la question. Dans cette lettre, l’OIIQ mentionne « le décalage qu’accuse la formation du Québec » telle que révélée, soi-disant, par le rapport du Centre d’innovation en formation infirmière (CIFI) de la faculté de sciences infirmières de l’Université de Montréal pour le compte du Secrétariat international des infirmières et infirmiers de l’espace francophone (SIDIIEF). Ce rapport a rendu publique une cartographie de la formation infirmière dans vingt pays francophones. Selon l’analyse, la formation infirmière exigée pour exercer comme infirmière au Québec se situe quatrième avant-dernière sur les vingt pays analysés. Le nombre d’heures de formation serait en cause ainsi que le niveau de formation. Le nombre d’années de scolarité menant à un diplôme qui donne accès à la profession est d’au moins 15 ans pour la plupart des cursus des pays de la francophonie alors que la formation collégiale au Québec n’en compte que 14. Or, le nombre d’années d’études ne présage pas en lui-même de la qualité de la formation et de son contenu. Les pays ayant les mêmes durées d’études pour l’obtention du diplôme d’infirmier ne sont pas pour autant comparables sur le plan du profil de sortie. De plus, l’OIIQ aurait dû tenir compte des mises en garde du CIFI quant aux équivalences entre les différents programmes des divers pays à l’étude. Dans le même ordre d’idée, si on considère le point de vue de l’OIIQ face au nombre d’heures de formation, on peut à ce titre également s’interroger sur la qualité de la formation universitaire au Québec dont le nombre d’heures de formation pour le Bac initial est nettement inférieur à celui des autres baccalauréats de la francophonie. Pourtant, ce dernier n’est pas remis en question.
Le document fait également état d’une tendance au rehaussement de la formation initiale des professionnels de la santé. Il donne, entre autres, comme exemple, l’exigence d’un doctorat professionnel pour les nouveaux pharmaciens. Si l’on regarde de près, ce doctorat professionnel est l’équivalent du diplôme de 1er cycle, auquel ont été ajoutées les heures de formation clinique (stage et internat) qui étaient préalablement sous la tutelle de leur ordre professionnel et qui ont été transférées au cursus universitaire2. Il n’y a pas d’ajout ou de plus-value puisque ces heures existaient déjà sous une autre forme. Dans le même ordre d’idée, si les heures d’externat de nos étudiants en soins infirmiers au collégial étaient reconnues au cursus, nous pourrions ajouter, minimalement, 400 heures de stage et diminuer ce « décalage » d’heures de formation d’avec les autres pays de la francophonie. Mentionnons que, dans le rapport du CIFI, on ne précise pas la nature des heures de stage de la formation infirmière dans les pays de la francophonie. Si elles étaient examinées de près, pourrait-on y retrouver des heures d’externat, des stages d’observation ou toute autre entité équivalente ?
Pourquoi l’OIIQ remet-il encore en question le droit de pratique après les trois années de formation collégiale ? En examinant le profil de sortie de la formation collégiale, on constate que cette dernière permet de répondre aux besoins courants de santé de la population. En effet, le rapport du Comité directeur sur la formation infirmière intégrée mentionne que « la personne détentrice d’un DEC en soins infirmiers sera donc préparée à des activités cliniques de type de soins généraux dans des unités de médecine-chirurgie, de réadaptation, de périnatalité́ et de psychiatrie, auprès d’une clientèle de tout âge et hospitalisée, à des activités cliniques de type longue durée auprès d’une clientèle hébergée, à des activités cliniques de soins ambulatoires dans des unités de chirurgie d’un jour et de centre de jour ». Le programme collégial respecte donc son mandat en offrant une formation initiale et en utilisant les milieux de stage nécessaires à l’acquisition des compétences prescrite. Par ailleurs, le rôle de l’OIIQ n’est-il pas d’attester, à travers l’examen du droit de pratique, de la qualité des connaissances, des habiletés et du jugement nécessaire aux candidates pour résoudre des situations cliniques propres à la pratique infirmière ? Sur ce point, les finissantes du DEC en soins infirmiers réussissent tout aussi bien, sinon mieux, que celles qui choisissent la formation universitaire initiale.
En terminant, nous ne pouvons pas ignorer le fait que l’exigence du baccalauréat comme seule formation de base donnant accès à la pratique infirmière peut avoir un impact sur l’accès à la profession et diminuer, à court et moyen terme, le nombre d’infirmières.
Dominique Jodoin
Enseignante en Soins infirmiers