Demandes récurrentes
Il y a longtemps que les enseignantes de Soins infirmiers dénoncent la surcharge de travail et l’insuffisance des ressources à l’égard de l’enseignement donné dans ce programme. Dès les années 90, lors d’assemblées syndicales, ces enseignantes se plaignaient que la CI mesurait mal la réalité de leur travail. Au fil des négociations, des demandes récurrentes ont été faites pour alléger leur tâche. Cela s’est toujours traduit par des demandes d’allocations spécifiques pour le programme, ce qui améliorait temporairement la situation, le temps d’une convention collective. Mais la question demeurait entière : comment réellement reconnaitre la complexité et la lourdeur des stages cliniques dans la tâche d’une enseignante de soins infirmiers ?
Lors de notre dernière négociation, la partie syndicale a de nouveau mis de l’avant une demande pour ces enseignantes, mais cette fois-ci, il était clair qu’il fallait aller au-delà d’une demande d’ajout de ressources. C’est ce qui a amené le comité de négociation à formuler une demande à l’effet d’ajouter, à notre convention collective, une annexe pour davantage tenir compte de la réalité de l’enseignement clinique en Soins infirmiers. Celle-ci a été portée par l’ensemble des syndicats de notre fédération.
La négociation de cette demande s’est concrétisée par un nouveau mandat pour le comité consultatif sur la tâche, comité paritaire de la convention collective. Celui-ci a pour mandant (clause 8-5.13) de proposer un ou des modèles de calcul de CI adapté aux réalités de l’enseignement en Soins infirmiers, en particulier de l’enseignement clinique, et d’analyser la problématique des stages et ce, au plus tard 18 mois après la signature de la convention collective.
Nos représentants syndicaux au CCT, Nicole Refermable et Yves Sabourin, qui enseignent respectivement au Collège de Maisonneuve et au Collège Édouard-Montpetit, ont amorcé, l’automne dernier, le travail de collecte de données auprès de dix collèges donnant le programme à travers la province. Les résultats de cette enquête ont mené nos représentants à dresser un portrait très clair des particularités de ce programme à travers le réseau, ce qui mènera à un ou des nouveaux modèles de CI. La partie syndicale espérait pouvoir terminer les négociations pour la fin du mois de mars, ce qui aurait permis d’injecter des ressources pour le projet de charge 2012-2013. Malheureusement, la partie patronale et l’autre fédération syndicale, la FEQ-CSQ, n’ont pas adhéré à l’accélération du calendrier 6 mois plus tôt que prévu.
Et localement, qu’en est-il ?
Chez nous, comme à travers le réseau, les enseignantes de ce programme se plaignent de la lourdeur des stages. En mars 2011, une enseignante du département nous a lancé un cri du cœur suite à une journée de stage bien difficile à l’Hôpital Sainte-Justine. Suite à sa lettre, que vous pouvez lire dans cet Enseigne, nous avons rencontré des enseignantes du département pour écouter et mieux comprendre les difficultés qu’elles vivent. Un comité « stage » a été mis en place auquel un membre de l’exécutif s’est joint pour toutes les rencontres. Une évidence s’annonçait : le ratio de un enseignant pour sept étudiants, dans la réalité du milieu hospitalier actuel, est beaucoup trop lourd, et totalement irréaliste en pédiatrie et en santé mentale.
Pour aller plus loin dans notre démarche pour bien comprendre les particularités de ce programme et plus particulièrement la complexité de la tâche à effectuer lors d’une journée de stage en milieu hospitalier, et puisque cela représente la grande majorité des heures de travail de ces enseignantes, j’ai fait la demande au département de pouvoir accompagner une enseignante. Le 19 octobre dernier, Francine Leblanc m’a permis de l’accompagner lors de sa soirée de stage et je tiens à la remercier grandement.
Suivre une enseignante en stage, pas à pas…
Mon rendez-vous avait lieu à l’urgence de l’Hôtel-Dieu de Montréal. Le quart de travail du soir a commencé vers 15 h, alors que l’enseignante doit faire le tour des salles de l’urgence pour choisir les patients à jumeler aux étudiantes. Exceptionnellement, Francine a cinq étudiantes dans son groupe au lieu de sept : trois très bonnes, une moyenne et une plus faible. Une chance, selon elle ! Pour ce stage de fin d’études, les étudiantes doivent terminer la session avec trois patients à leur charge. Ce soir-là, elles en auront deux ou trois, selon la force de chacune et les compétences à acquérir, ce qui demande à l’enseignante de superviser, en plus des cinq étudiantes, entre 10 et 15 patients.
Il est 15 h 45 et c’est le rendez-vous donné aux étudiantes pour l’attribution des patients, les devoirs particuliers pour le lendemain et le retour sur certaines évaluations, tout cela dans une salle minuscule où le groupe tente de se faire une place à travers les étudiants de médecine et le va-et-vient continuel.
Il est 16 h et nous voilà au poste des infirmiers pour le début de cette soirée mouvementée. Les étudiantes doivent prendre le rapport inter service, lire les dossiers de leurs patients et ensuite aller rencontrer chacun d’entre eux. À travers cette agitation, l’enseignante est appelée sans arrêt à répondre aux questions des étudiantes, à valider tous les médicaments à donner, à assister les techniques de soins que l’étudiante exécute et à rendre des comptes à l’infirmière responsable du patient et à l’infirmière chef du département.
Je suis pas à pas Francine et je réalise que j’aurais dû prendre mon podomètre. Je m’assois pour regarder l’heure : il n’est que 17 h 30 ! Le feu roulant se poursuit jusqu’à 20 h, alors qu’une légère accalmie permet aux étudiantes d’aller souper à tour de rôle. Francine a à peine le temps de manger car il y a toujours une étudiante qui vient la voir. Vers 21 h, tout reprend de plus belle jusqu’à minuit. Après cette soirée, Francine doit vérifier les notes aux dossiers des patients, écrire des commentaires sur le travail des étudiantes, corriger quelques évaluations et préparer la journée de demain. Tout cela se termine vers 2 h du matin.
Mon constat
Tout d’abord, il est devenu évident pour moi qu’un quart de travail pour une enseignante en stage est beaucoup plus exigeant que pour une infirmière. Les journées sont beaucoup plus longues, avec un niveau de stress et de responsabilité très élevé. Selon le type de stage, l’enseignante doit arriver une heure à l’avance pour vérifier les dossiers des patients avant le changement de quart de travail. Une enseignante qui doit enchainer quatre jours de stage dans une même semaine, et cela parfois sur quatre semaines, se retrouve avec un grand niveau de fatigue. D’ailleurs, plusieurs enseignantes demandent des réductions de tâche pour améliorer leurs conditions de travail et de vie. Ajoutons à cela la difficulté de maintenir des milieux de stage stables, la priorité étant donnée aux universités, et la lourdeur du milieu hospitalier montréalais. N’en ajoutons plus, leur cour est pleine !
Je crois qu’il est grand temps de reconnaitre la lourdeur de la tâche des enseignantes en soins infirmiers et de trouver des solutions tant sur plan local que national.
Jo-Anne Fraser